Les mondes poétiques de Hans Op de Beeck, rencontre avec une valeur sûre de la création belge.
Roger Pierre Turine | La Libre Belgique, 1 November 2006
LES MONDES POETIQUES DE HANS OP DE BEECK
Rencontre avec une valeur sûre de la création belge.
ROGER PIERRE TURINE
(LA LIBRE BELGIQUE – NOVEMBRE 2006)
« Rencontre » : un terme qui s’impose. Tout avec Hans Op de Beeck coule de source. S’inscrit au présent dans une convivialité naturelle, franche. Celle de l’hôte heureux de vous recevoir, même si c’est entre deux trips lointains et deux séances de travail à l’atelier. Accueil, chaleur et simplicité des échanges, sensation de partager un univers et même d’y participer. Ni forfanterie, ni suffisance : la modestie généreuse et souriante. Le regard est clair, l’œil ardent. L’homme sincère et calme. A l’image de ses travaux. Ni falbalas, ni redondances. Pourrait-on dire que la poétique des espaces et des situations y règne en maître ? Tant il apparaît, en effet, qu’elle est un élément essentiel d’une démarche en quête d’indices de vie et donc aussi de mort, non pas décortiqués jusqu’au vertige, mais suggérés dans le silence d’approches et de mises en scène toujours… suggestives.
Op de Beeck ne procède pas en expressionniste, en pourfendeur de statues. Si son travail, par ailleurs, arpente, quelque part, les voies conceptuelles, celles-ci ne ressemblent jamais, chez lui, à des discours. Elles sont relais entre l’âme et l’esprit, afin que nul n’ignore que, sous leur apparente sérénité, les œuvres de cet architecte d’atmosphères respirent l’inquiétude de présents troublés, de lendemains incertains. Avant-hier, la vidéo d’une famille – père, mère, enfant – qui, d’un bon pas assuré, va son chemin les bras chargés de commissions ; hier, couronné du Prix de la Jeune Peinture belge, son installation d’une ville bombardée, anéantie, dont une seule fontaine témoigne encore d’une vie latente ; plus tard, un resto-route à l’échelle réelle : qui s’y installe, croit voir l’infini ; aujourd’hui, des intérieurs et des scènes familiales, espaces éphémères et changeants…
Artistes de père en fils
Né à Turnhout, tout près du Brabant hollandais, en 1969, Op de Beeck a eu de la chance. Un grand-père peintre, des grands-oncles et des oncles paternels écrivains ou comédiens : comment ne se serait-il pas senti en pays de connivence dès lors que le dessin se mit à l’occuper, que le souci de s’exprimer l’accaparèrent plus que de raison ! « Petit garçon et teenager, je créais des bandes dessinées et, vers 17 ans, je me suis lancé dans le théâtre au point de penser devenir acteur. J’ai joué durant quatre ans, le temps de me rendre compte qu’une responsabilité partagée comme il est de mise à la scène ne me convenait pas. J’aime assurer pleinement ma démarche artistique. Quand on est un plasticien, on est son propre maître.» Hans reconnaît ainsi qu’enfant, il n’était pas très social, plutôt du genre silencieux et calme (il rit en s’en rappelant). « Mais ma vie n’est pas intéressante », dit-il, « je préfère être jugé sur mes œuvres. » Une langue d’artiste figurative, ligne claire de la bd, accessible : Op de Beeck joue sa partition sur une picturalité qui fait parfois songer au roman. « Je cherche à offrir des lieux, des espaces parallèles, des décors qui évoquent des histoires, sans toutefois raconter les histoires elles-mêmes. Mes réalisations seraient plutôt des réflexions sur la vie actuelle, moderne ou post-moderne, sur les conditions sociales. J’essaye de jouer sur deux tableaux avec, d’un côté, des décors vides sans action et, de l’autre, des œuvres où je montre les gens très explicitement, des gens de tous les âges et d’origines diverses. » Et l’on en revient au silence, élément moteur et récurrent de l’ensemble d’un parcours créatif en exploration constante… « J’essaye de mettre en scène le silence, l’endroit qui t’invite à laisser glisser le temps sans la nécessité d’une vraie histoire. C’est ce que je trouve chez Vermeer et les grands maîtres : le silence d’un univers parallèle. Deux millimètres de peinture, c’est une illusion mais, en même temps, on découvre là un univers parallèle accessible et qui paraît vrai ! Ce que je fais est proche aussi du théâtre : assis dans les fauteuils rouges, il arrive un moment où l’on oublie les conditions artificielles du décor, où l’on commence à croire aux caractères des personnages sur scène (on a oublié que c’étaient des acteurs)… Je cherche, moi, à rendre ce moment où tu peux ouvrir une porte pour voir de l’autre côté, même si c’est une illusion … » Hans Op de Beeck, tout l’indique, est un poète qui crée des images, des maquettes, des ensembles tridimensionnels. Fuite dans le temps et l’espace d’un homme apeuré par les réalités ? Plutôt, sagesse d’un homme en quête d’un monde parallèle qui pourrait être vrai. D’un artiste qui réfléchit.
Gare à l’absurdité !
« Je considère le monde actuel comme une absurdité. Or, l’absurdité est cette sorte de solution hybride qui te donne la possibilité de ne pas choisir entre optimisme et pessimisme. Je sais bien que la vie actuelle est complexe, qu’elle n’est ni agréable, ni belle, mais en même temps qui suis-je pour pouvoir juger sa qualité ! Personnellement, je ne suis ni un optimiste, ni un pessimiste. Je serais plutôt une sorte de philosophe qui prend ses distances, essaye d’observer la vie avec un certain recul. Une vie tout à la fois tragique et comique… » Il y a un an, Hans Op de Beeck a réalisé « T-Mart », un grand marché imaginaire, une œuvre montrée à Shangaï. La métaphore d’une vie hyper rationalisée… Sans pour autant condamner les hypermarchés… « par ailleurs, fort pratiques ». Ses œuvres sont des explorations des paradoxes d’une vie cependant trop complexe pour que nous la jugions ex abrupto. L’art ne juge pas, il ouvre des portes, balise des sensations, des réflexions. Chez Hufkens, Hans Op de Beeck nous montre, une première, des bas-reliefs, sortes de dessins en trois dimensions : « Une surprise qui m’a moi-même surpris. J’ai commencé à dessiner des intérieurs et puis j’ai ressenti la nécessité d’y introduire une troisième dimension. » La dimension d’un artiste en marche. « L’image que j’ai dans la tête est primordiale, elle détermine les options qui vont suivre. »