Olaf, Op de Beeck, Steichen : trois artistes en harmonie
Valentin Maniglia | Le Quotidien, 17 December 2022
Fortement inspirés par les travaux d’Edward Steichen, Erwin Olaf et Hans Op de Beeck voient leurs œuvres, témoins d’une réalité cachée, se répondre dans une très belle exposition au MNHA.
Ce qui lie le photographe néerlandais Erwin Olaf et l’artiste plasticien belge Hans Op de Beeck est leur admiration commune pour le travail d’Edward Steichen (1879-1973). Ajoutez à cela leur renommée, qui les place parmi les meilleurs artistes vivants dans leurs domaines respectifs, et le fait que l’année 2023 sera celle des 50 ans de la mort du photographe américain né au Luxembourg, il n’en a pas fallu plus pour que le musée national d’Histoire et d’Art (MNHA) ait eu envie de faire se côtoyer leurs sensibilités et leurs œuvres à l’intérieur d’une exposition commune. L’élément décisif étant, donc, la figure de Steichen, qui pointe le bout de son nez tant comme inspiration que comme guide. Et le MNHA de proposer aux visiteurs qu’ils «portent un regard sur son travail d’un œil neuf», tel que l’affirme Ruud Priem, le commissaire de l’exposition «Erwin Olaf & Hans Op de Beeck. Inspired by Steichen».
Olaf, Op de Beeck et Steichen dialoguent ainsi à travers une quarantaine d’œuvres, disposées à la façon d’un «voyage visuel» dans lequel, explique le commissaire, «une nouvelle harmonie» se forme, composée par «d’illustres artistes qui font de la musique ensemble». L’analogie orchestrale est évidente face aux œuvres, qui frappent par leurs dimensions variables – les clichés taille réduite de Steichen et les tirages monumentaux d’Erwin Olaf, tout comme les aquarelles et sculptures imposantes de Hans Op de Beeck –, comme autant d’instruments de taille plus ou moins considérable au sein d’un même ensemble. On croit même pouvoir entendre certaines œuvres, comme la photographie Am Wasserfall d’Erwin Olaf, qui met en majesté une cascade en pleine nature, ou la dernière pièce de l’exposition, dans laquelle trône la sculpture de Hans Op de Beeck au titre poétique My Bed a Raft, the Room the Sea, and Then I Laughed Some Gloom in Me, entourée d’aquarelles représentant la mer.
Erwin Olaf l’assure : «Nous célébrons l’imagination. Nous créons nos propres histoires.» Plus encore qu’un parallèle avec la musique, l’exposition combine à merveille l’acte de contemplation et le fil narratif. Avec, au cœur, le pouvoir de la nature, qui rend singulière la présence de l’humain. C’est encore une fois le cas dans Am Wasserfall, où l’homme est minuscule, ou dans la série de portraits d’Erwin Olaf, avec des figures humaines semblant surgir de la végétation, sur le modèle de l’étrange portrait du poète américain Carl Sandburg par Edward Steichen. Ruud Priem dit de ce dernier qu’il fut le premier à «utiliser son appareil photo comme un pinceau»; Olaf, dont l’influence de la peinture romantique du XVIIIe siècle est au moins aussi forte que celle de Steichen, apparaît alors comme son héritier le plus doué.
Chez Hans Op de Beeck aussi, les œuvres racontent leurs propres récits. The Cliff, sculpture qui émerge du mur, montre deux adolescents assis au bord d’une falaise. Ce pourrait être la fin d’un premier amour, ou le début. Ce pourrait être une contemplation de la nature, ou une simple pause. L’œuvre, en tout cas, amène ce qu’il manque de relief par rapport à la majorité des œuvres encadrées et exposées. Relief aussi amené par la naissance de ses travaux sculptés. Ann Marcelis, son assistante, témoigne : «Pour Hans, ce sont les souvenirs – d’enfance en particulier – qui sont l’étincelle qui déclenche des histoires.»
En pénétrant dans l’exposition, on laisse derrière nous la réalité pour entrer dans un monde tout aussi réel mais bien caché. Le noir et blanc (et toutes les teintes de gris entre les deux), qui caractérise l’intégralité des œuvres, en est l’expression poétique par excellence, laissant le soin au visiteur d’amener de la couleur à l’intérieur de l’espace. À l’image de leur inspiration principale, Olaf et Op de Beeck font la part belle aux vues de nuit, capturées dans le réel («sans Photoshop», souligne le photographe) ou imaginées sur papier. Les œuvres, rappelle Ruud Priem, n’ont pas été commandées dans le cadre de l’exposition mais bien choisies parmi des travaux déjà existants (toutes les œuvres d’Erwin Olaf, par exemple, composent la série Im Wald, réalisée en 2020), sans que les artistes ne soient mis au courant des œuvres choisies chez l’autre, rendant le tout plus impressionnant encore. Et Erwin Olaf et Hans Op de Beeck seront de nouveau conviés au MNHA en mars prochain, où ils présenteront une sélection de 20 photographies… signées Edward Steichen. La boucle est bouclée.
English:
Strongly inspired by the work of Edward Steichen, Erwin Olaf and Hans Op de Beeck see their works, witnesses of a hidden reality, answered in a very beautiful exhibition at the MNHA.
What links Dutch photographer Erwin Olaf and Belgian visual artist Hans Op de Beeck is their common admiration for the work of Edward Steichen (1879-1973). Add to this their reputation, which places them among the best living artists in their respective fields, and the fact that 2023 will be the year of the 50th anniversary of the death of the American photographer born in Luxembourg, it did not take more for the National Museum of History and Art (MNHA) to want to bring their sensibilities and works together within a joint exhibition. The decisive element is, therefore, the figure of Steichen, who points the tip of his nose both as inspiration and as a guide. And the MNHA to offer visitors that they "take a look at his work with a new eye", as said by Ruud Priem, the curator of the exhibition "Erwin Olaf & Hans Op de Beeck. Inspired by Steichen».
Olaf, Op de Beeck and Steichen thus dialogue through about forty works, arranged in the manner of a "visual journey" in which, explains the commissioner, "a new harmony" is formed, composed of "illustrious artists who make music together". The orchestral analogy is obvious in the face of the works, which strike by their variable dimensions - the small-sized clichés of Steichen and the monumental prints of Erwin Olaf, as well as the imposing watercolors and sculptures of Hans Op de Beeck - as so many instruments of more or less considerable size within the same set. We even think we can hear some works, such as Erwin Olaf's photograph Am Wasserfall, which majestically puts a waterfall in the middle of nature, or the last piece of the exhibition, in which sits the sculpture of Hans Op de Beeck with the poetic title My Bed a Raft, the Room the Sea, and Then I Laughed Some Gloom in Me, surrounded
Erwin Olaf assures him: "We celebrate the imagination. We create our own stories." Even more than a parallel with music, the exhibition perfectly combines the act of contemplation and the narrative thread. With, at the heart, the power of nature, which makes the presence of the human singular. This is once again the case in Am Wasserfall, where man is tiny, or in the series of portraits of Erwin Olaf, with human figures seeming to emerge from vegetation, on the model of the strange portrait of the American poet Carl Sandburg by Edward Steichen. Ruud Priem said of the latter that he was the first to "use his camera as a brush"; Olaf, whose influence of 18th century romantic painting is at least as strong as that of Steichen, then appears as his most gifted heir.
At Hans Op de Beeck too, the works tell their own stories. The Cliff, a sculpture that emerges from the wall, shows two teenagers sitting on the edge of a cliff. It could be the end of a first love, or the beginning. It could be a contemplation of nature, or a simple pause. The work, in any case, brings what lacks relief compared to the majority of supervised and exhibited works. Relief also brought by the birth of his sculpted works. Ann Marcelis, her assistant, testifies: "For Hans, it is the memories - of childhood in particular - that are the spark that triggers stories."
By entering the exhibition, we leave behind reality to enter an equally real but well hidden world. Black and white (and all shades of gray between the two), which characterizes all the works, is the poetic expression par excellence, leaving it to the visitor to bring color inside the space. Like their main inspiration, Olaf and Op de Beeck focus on night views, captured in reality ("without Photoshop," says the photographer) or imagined on paper. The works, recalls Ruud Priem, were not commissioned as part of the exhibition but well chosen from already existing works (all the works of Erwin Olaf, for example, make up the Im Wald series, made in 2020), without the artists being informed of the works chosen from the other, making everything even more impressive. And Erwin Olaf and Hans Op de Beeck will be invited to the MNHA again next March, where they will present a selection of 20 photographs... by Edward Steichen. The loop is closed.