Hans Op de Beeck sur tous les fronts
Roger Pierre Turine | La Libre, 28 March 2008
Un nouveau musée japonais lui consacre une salle entière. Importante exposition à Amsterdam en juin et Biennale de Singapour en septembre.
Hans Op de Beeck va son chemin sans faire de vagues. Un chemin serein, lucide. Celui de l'homme en marche qui sait quelle cause il défend et comment il entend mener sa barque. Récemment, il a exposé ses Extensions au Central Museum d'Utrecht et au Musée de Leuven et un livre, publié chez Hatje Cantz, recense quelques-unes de ses dernières installations, "The Building", Extensions, " Accumulation", " T-Mart", auxquelles ont été joints des dessins à l'encre et à l'aquarelle, plutôt figuratifs, allusifs surtout, enlevés d'une main sûre. Nous avons retrouvé Hans Op de Beeck, chez lui, à Anderlecht, dans son atelier à étages dans lequel cinq assistants l'accompagnent. Il s'apprêtait à prendre le large, à gagner le Japon et le Towada Art Center, un espace révolutionnaire voulu par Fumio Nanjo, également directeur du Art Mori Museum à Tokyo. Dans ce lieu conçu par l'architecte Ryne Nishizawa, les divers élus seront exposés en permanence. Originalité incontestable, ils y disposent chacun d'un espace, un bâtiment, créé en fonction de l'oeuvre acquise et en concertation avec l'artiste. Op de Beeck y jouit ainsi d'un bâtiment séparé pour y lover son Location (5), une installation dans laquelle le visiteur est convié à entrer. Ailleurs, dans ce musée encore en plein développement, ont déjà pris place des oeuvres de Ron Mueck, Yoko Ono ou Paulo Morison.
Un musée du dialogue
“Je trouve particulièrement intéressante cette opportunité. Que l'artiste puisse y dialoguer avec l'architecte, c'est exceptionnel. Mon installation est une représentation d'un restoroute et d'un paysage. Ce qui aura nécessité de discuter sur la profondeur du sol et la hauteur du bâti et c'est ainsi que, pour la première fois, j'ai pu m'éclater dans une entreprise de 300 m2, que, a priori, tout le monde pensait invendable. Or, la voilà installée en permanence !" Pour arriver à ses fins, Op de Beeck est entouré de cinq assistants full-time et c'est dire si, pour boucler les deux bouts, il lui faut aussi vendre de petites pièces sans trop de frais de production. Car cet artiste voit grand, va de l'avant.
Invité au Festival de l'Art Performance à Amsterdam, du 1er au 21 juin, il est occupé à mettre au point Location (6), la plus onéreuse de ses productions. Un "Panorama" à l'ancienne de 18 mètres de diamètre, dans lequel on entrera par un couloir de 14 mètres de long, avant de s'asseoir sur un banc pour regarder tout autour de soi un paysage de neige, infini, plongé dans un brouillard de plus en plus épais. Un trompe-l'oeil de 400 m2. Un paysage qui, comme le resto-route, est sculpté à la main, à la tronçonneuse, dans des matériaux synthétiques, des polymères, du polystyrène. Avec, sur le devant de la scène, des arbres grandeur nature, puis de plus en plus petits à mesure qu'on regarde au loin. Le tout dans une lumière blanche. Un paysage monochrome, "clean". Et l'artiste de rappeler : Location (5) était tout en noir, mais l'esprit sera ici le même : créer un environnement serein, silencieux." Et nous ajoutons : poétique. La poésie est en effet partie prenante de tout le travail d'Op de Beeck, un créateur en prise étroite sur son temps... "L'idée de travailler sur le sujet de la technologie dans un temps postmoderne m'interpelle. Il n'est plus question désormais d'être contre la technologie, celle-ci est trop présente, avec des répercussions positives, très intégrées. Mais, en même temps, cela reste un problème car, où en sommes-nous, là-dedans, avec notre corps ? Ma pièce "Extensions" est née de cette réflexion alors que je me trouvais dans l'hôpital de la VUB à Jette... Au niveau un, tu as les nouveau-nés et au sept, les moribonds et, entre les deux, des gens qui souffrent ! L'hôpital est une réduction très cruelle de la vie. Et j'ai planché sur la manière dont nous sommes confrontés, dans un même
bâtiment, étrange et clinique, aux divers moments de notre existence."
Poétique
Poétique Op de Beeck, disions-nous : "Oui, je ne veux jamais juger. Je sais qu'il est heureux aussi que des hôpitaux
existent. En tout j'essaye de montrer à la fois le côté stérile d'une situation mais aussi sa poétique."
Du vide au vécu et vice-versa. Rappelons-nous sa grande table familiale exposée chez Hufkens l'an dernier (tirage en trois exemplaires, tous vendus). Bon à savoir aussi : ses installations sculpturales sont toutes sculptées, sans recours aux ready-made, en bois, métal, plastic. "Oublier la réalité, sa propre identité, se glisser dans une sorte de flou, comme dans un coma... A ce moment-là on fait vraiment partie d'une "Extension", d'une machinerie médicale. On est dans l'inconnu et ce n'est pas forcément désagréable. Mes installations font référence à nos vies actuelles avec leur dualité, entre beauté et conditionnement." L'art d'un révolté silencieux.