Le merveilleux Hans Op De Beeck au Centquatre
Valérie Duponchelle | Le Figaro, 7 December 2016
L'artiste belge n'a pas son pareil pour figer le temps et la vie dans un espace donné. Sa palette est souvent monochrome. Ses installations sont d'une belle douceur déchirante. Le Centquatre à Paris accueille ce magicien moderne, juste avant Noël et ses mirages.
Hans Op De Beeck est un artiste de référence des grands rendez-vous de l'art contemporain. De la 54e Biennale de Venise en 2011, où il plongeait le festivalier dans la mélancolie de l'Entropia avec sa chambre froide, vide de tout occupant, et son canapé gris comme une tombe, à Art Basel en juin dernier où The Collector's House résumait le triste sentiment de la possession en plein Art Unlimited, bouillonnant de collectionneurs, de galeristes et d'affaires. De la Biennale de Lyon, Istanbul à Taipei au dernier Printemps de septembre avec son désolé The Garden of Whispers au couvent des Jacobins. Cet artiste belge né en 1969 à Turnhout semble agiter une baguette magique qui fixe l'instant et le transforme en moment d'éternité.
Au Centquatre, deux œuvres vidéo récentes et trois installations sculpturales inédites en France vous invitent à Saisir le silence. Caravan, 2015, est une installation presque à l'échelle 1 qui vous projette dans «une zone urbaine, fictive et enneigée». La modestie des moyens évoqués, le feu de camp qui tente de réchauffer cette solitude à peine visible par l'ombre dans la fenêtre, cette vie improvisée qui se tapit au pied des grands ensembles est un résumé clair de notre temps, dur et paisiblement indifférent. Et pourtant, cette vision est belle comme une contemplation d'étoiles, belle comme la nuit qui engloutit tout.
Il y a du merveilleux et de l'effroi dans le monde figé de Hans Op De Beeck. Le monochrome, souvent gris comme un cliché vintage, unifie tout le décor, du siège à l'assiette, de la fleur au livre (The Lounge, 2014), de la jeune «trophee wife» au modelé parfait en jeans slim, jusqu'aux nénuphars du bassin. Hans Op De Beeck, c'est «l'absurdité tragi-comique de l'existence post-moderne» qui prend forme et volume devant vos yeux, dans un sens aigu de l'image propre au cinéma. Cet art de la fiction réunit dans sa formule magique le temps, l'espace et l'individu et retranscrit un état d'âme très particulier, fait de lucidité et de rêve, d'observation et de transcendance, de foi en la beauté qui recouvre la vie dans ses plus petites manies, dans ses travers les plus ridicules.
Une beauté calme
Dans son atelier d'Anderlecht, quartier populaire et un peu déglingué de Bruxelles, Hans Op De Beeck est à l'image de ses créations, contemplatives et vaguement inquiètes. D'une beauté calme, cet heureux père de famille a le côté rayonnant du prof un peu lunaire que les étudiants les plus chahuteurs écoutent malgré eux. Il parle doucement, en s'assurant de répondre exactement, sans excès ni à-peu-près. Une belle pudeur qui rend toute confession, survenue au détour d'une phrase, criante de vérité. Autour de lui, du blanc, du gris, de l'ordre et un désordre très organisé, des ordinateurs, des fleurs, un vélo, une salle vidéo sombre et sans fioritures pour les projections et les conférences. Pas d'installations, par définition, puisqu'elles sont trop grandes pour exister ici à l'état d'embryon. Des objets figés en verre, des noix, son petit objet fétiche. On se croirait dans La Mélancolie de Dürer.