Op de Beeck : des projets plein la tête
Roger Pierre Turine | La Libre, 4 February 2009
Pour Hans Op de Beeck, la saison s’avère chargée : expos en solo et en groupe. Nouvelles vidéos, installations et grandes aquarelles au programme.
L’atelier respire la sérénité, nonobstant les nombreux projets en cours de réalisation. Une équipe sympathique, jeune, entoure le plus poète de nos plasticiens contemporains. Et ceci, sans aucun doute, l’aide à demeurer confiant et calme, doux ne serait-ce qu’en apparence, en chaque circonstance. Un air de liberté et de créativité plane, en effet, sur l’antre anderlechtois, familial et de travail, d’un artiste que le monde entier nous réclame chaque jour davantage. À peine conclue une présentation de Celebration à San Gimignano pour les fêtes et voilà déjà qu’une nouvelle vidéo vient de prendre son envol, à la faveur d’une expo personnelle, jusqu’au 5 avril, en la Galerie Continua de Beijing, en Chine, tout près de l’Espace Ullens, où l’artiste fut invité à parler de ses créations. "Extensions" : dix minutes de pur bonheur visuel et de profonds silences !
Un film de mèche avec l’installation "Panorama", qui le jouxte. "Pour cette exposition, je ne voulais montrer que du silence !"
Op de Beeck est passé maître en la matière depuis "Location I", sa ville écrasée, silencieuse après le drame, grâce à laquelle il avait obtenu le Prix de la Jeune Peinture belge en 1998. Il y a des silences qui parlent !
Un silence, cette fois, à peine bousculé, comme dans un rêve, par la belle musique, simple et répétitive, de Serge Lacroix, un de ses assistants. Animation en haute définition, "Extensions", un univers dessiné qui nous parle, textures à fleur de peau. Entre rêveries solitaires et un monde actuel technologique et automatisé.
Être dans l’actualité et hors du temps : le défi permanent d’un artiste qui n’a nul besoin de crier pour dire.
Dans quel monde ?
Une ville immense fondue dans la brume. Des buildings, des escalators en route vers l’infini. Du net au flou. Un homme dans un hôpital sur fond de casino de Monte-Carlo. Calligraphies. Un enfant sur un lit. Cauchemars. Des paysages défilent, divers, Orient, Occident, antiquité, un aéroport, la mer. Espaces vides et animés, masques, vanités, musique. Et ce mot de la fin : "Le gardien de nuit murmure. " En scène, l’esthétique du désastre. Entre rêve et réalité très tendue. "Aujourd’hui, dans le monde, tout est de plus en plus diffus, les décors urbains se ressemblent. À cause du progrès. À Pékin, les gens m’ont dit : on n’a plus le temps pour la méditation. Nous sommes stressés par une économie à deux niveaux ! Et ce n’est pas l’image que nous avons de l’Orient !"
Entièrement aquarellé, "Extensions" propose quelques mots suggestifs, calligraphiés, car "la calligraphie traduit bien la peau de l’aquarelle. Et le calligraphe a demandé de pouvoir tracer ses signes dans le silence. " Le titre ? "Parce que je pense que la vie, maintenant, est supportée par des structures invisibles. Cela peut te libérer mais gare aux manipulations ! Mon film est à plusieurs vitesses sur la vie actuelle, il montre en filigrane ce qui réunit Orient et Occident." À côté, l’installation Panorama [Location (6)], précédemment montrée à Amsterdam. On entre dans un vrai panorama à l’ancienne, tout blanc.
Mais au spectaculaire d’antan, Op de Beeck oppose son contraire : l’introspectif. Un panorama de neige que l’on voit défiler dans le silence ambiant. Et les quinze aquarelles grand format sont elles aussi des vues silencieuses : "En noir et blanc, à l’enseigne de l’installation, mais elles élargissent le propos." Et l’artiste d’avouer qu’il songe de plus en plus à peindre aussi (ce qu’il avait appris à l’Aca), "pour retrouver la peau, unique, de la toile".
Autres projets en solo : en 2010, à Saint-Nazaire, ancienne base sous-marine des nazis devenue, dérives sociales en sus, base de construction de navires démesurés. Op de Beeck prévoit un grand bateau de 500 mètres avec un design très spécial, sorte de musée d’un Titanic. Un travail sur la contradiction des légendes, avec tournages réels et recours à des acteurs et création virtuelle par ordinateur. "On entrera dans un très beau bateau qui n’existera en fait jamais, mais sera d’ores et déjà une légende !"
Au printemps 2011, expo chez Argos : sculptures, peintures, film d’animation, textes. Expositions de groupe en vue : au Museo Reina Sofia, à Madrid, et au Centre Pompidou, à Paris, avec la KunstFilmBiennale ; au Palazzo Fortuny, à Venise, sous commissariat d’Axel Vervoordt, durant la Biennale ; accrochage sur "La mémoire" au musée du Dr Guislain, à Gand ; à "Discovering Slowness" à Xiamen, en Chine ; à La Conciergerie, à Paris, aux côtés des Cattelan, Fritsch, Veilhan, Kiki Smith et Warhol. Et puis, à Gijon et Madrid, à Shangaï et Singapour. Du pain sur la planche.